Sadie Family : les nouveaux millésimes

Au moment où j’écris ces linges, nous sommes en train de semer les graines de la couverture végétale de l’après-vendange. Et je me rends compte que si vous plantez des graines sur une terre sèche, vous avez la conviction qu’il pleuvra. Il y a exactement un an, nous vous avions parlé des années de sécheresse difficiles et que nous ne pouvions pas nous permettre de vivre une autre récolte aussi difficile que celle de 2018 … mais 2019 fut encore plus extrême ! Même si des pluies un peu plus abondantes ont été enregistrées pendant l’hiver 2018, les nappes phréatiques sont au plus bas.
Cette année, nous sortons les millésimes Columella & Palladius 2017 et les vins de la série « Old Vine » 2018. Le millésime 2019 étant désormais en cuves et en fûts, nous avons en réalité perdu la production d’une année entière au cours des trois derniers millésimes, avec une production en baisse de 28% en 2018 et 35% en 2019. En d’autres termes, outre le fait de devoir faire face à une réalité économique difficile, il existe une pénurie massive de vin, en particulier pour les vins de la série « Old Vine ». Heureusement, pour Columella et Palladius, nous avons pu ajouter les raisins d’un nouveau vignoble à ces deux cuvées au cours des deux dernières années et cela nous a été d’un grand secours.
Comme ce fut le cas en 2017, le millésime 2018 est caractérisé par des niveaux de maturité et d’acidité beaucoup plus faibles. Plus la vigne est située au nord, plus la sécheresse a été sévère. Les montagnes Clanwilliam ont été les plus touchées, suivies respectivement par Piekenierskloof et Piquetberg. Les vignobles de Paardeberg et de Kasteelberg à Riebeek se sont légèrement améliorés en 2018

Le principal défi, hormis la perte évidente de vin et les difficultés économiques qu’elles engendrent, c’est de gérer la pénurie mais il ne faut pas perdre de vue que nous avons toujours des raisins pour produire des vins de qualité. Même si nous avons dû dire au revoir à 70% de la récolte dans d’un vignoble et 20% dans un autre, nous avons encore la possibilité d’embouteiller des vins dans ces millésimes extrêmes. Nous avons pensé initialement que la longévité de ces millésimes, affectés par la sécheresse, serait compromise mais les vins se portent bien et sont étonnamment stables. Nous pensons toutefois que c’est une bonne idée de boire les vins du millésime 2018 avant ceux des millésimes 2014, 2015 et 2016.

COLUMELLA 2017

Ce Columella 2017 est le premier millésime des «années de sécheresse» à être mis en bouteille et ce vin témoigne de la grande consistance à laquelle on peut arriver dans une région avec de multiples variétés et des vignobles plantés sur des sites divers. Cela montre que la qualité et la régularité peuvent être obtenues par une variété de vignobles plutôt que par un seul. L’expression d’un site unique se comprend mais il n’y a tout simplement pas de meilleure stratégie que la combinaison d’une plus grande variété de terroirs pour constituer la représentation la plus exacte de notre région. Ce vin est le résultat de 12 mois de vieillissement en fûts (8% neufs), puis de 12 mois supplémentaires en fûts ovales neutres.
C’est un vin d’une énorme densité avec une grande tension mais qui est totalement fermé à ce stade (juillet 2019). La fermeté du vin indique que ce sera un millésime de longue garde. Le nez est parfumé avec une belle densité de fruit, des notes épicées et de garrigue. Les tannins sont fins et poudreux et presque voluptueux. C’est une main de fer dans un gant de velours. L’âge doit le dompter et s’il est ouvert dans les 5 ans, il faudra le décanter au moins 2 heures à l’avance.

PALLADIUS 2017

Le Palladius 2017 affiche la complexité d’un assemblage de 11 cépages provenant de 17 vignobles. Ici, contrairement aux deux millésimes précédents, les arômes et les saveurs de fruits frais sont plus nombreux. Les fruits à noyau et la peau de pêche suggèrent presque un millésime plus froid … c’est en partie le résultat de notre vendange un peu plus précoce que d’habitude pour diminuer le stress hydrique et pour essayer de préserver les réserves des plantes pour que les vignes puissent faire face à la sécheresse. Ce vin offre habituellement des arômes plus tropicaux mais, sur ce millésime, on ne trouve rien de tout cela. Un peu de cassis blanc et de peau de pomme verte lui donnent une certaine sobriété. L’ensemble est salin, minéral, avec de légères notes de miel et de citron vert.

 

SOLDAAT 2018

Ce nom signifie « soldat » en afrikaans, une des deux langues d’origine européenne parlées en Afrique du Sud, issue du néerlandais. Le nom provient d’un détachement de fantassins appelé ‘piekeniers’ (foot soldiers, fantassins) qui gardait cette région pour protéger le bétail.

L’altitude du vignoble d’où proviennent les raisins l’a protégé de la chaleur du millésime. Dans ce vin, le fruit n’est pas très expressif au premier abord mais il a beaucoup de profondeur. Arômes et saveurs de grenades juste à maturité et de cerises. La vivacité habituelle des fruits rouges n’est pas présente dans ce millésime qui est tout en retenue. C’est une grenache à attendre, elle développera avec le temps des saveurs de sous bois.

 

POFADDER 2018

Les raisins de cette cuvée furent récoltés tôt car les gros grains du cinsault sont très sensibles à la déshydratation et cela donne des caractéristiques confiturées au vin. C’est le millésime le plus fin que nous ayons jamais produit au domaine et il prendra un certain temps avant de s’exprimer. La fraise et la cerise en sous-maturité dominent le vin en ce moment mais la texture de bouche est très élégante avec la colonne vertébrale tannique si caractéristique du cinsault. C’est un vin sérieux.

 

 

 

TREINSPOOR 2018

Ce tinta barroca provient d’un vignoble situé à 4 km de la ville de Malmesbury, au bord de la route qui mène à Darling. Le vignoble se trouve près d’une gare ferroviaire désaffectée d’où il tire son nom. Ce cépage est habituellement une composante des assemblages mais sur des vieilles vignes à petits rendements, il acquiert une complexité et des qualités qui permettent de le mettre en bouteille en monocépage.
Au fil du temps le Treinspoor est devenu l’un de nos vins les plus satisfaisants car il est passé par des phases de raffinement considérable. Le Tinta Barroca à la capacité de faire des vins très élégants et très purs aux caractéristiques multidimensionnelles. C’est en général le plus sérieux de vins de la série « Old Vine » et le 2018 n’est pas une exception. C’est incontestablement le vin le plus équilibré et le plus harmonieux que nous ayons jamais mis en bouteilles. Malheureusement les rendements sont minuscules.

SKERPIOEN 2018

les sols calcaires de cette parcelle lui permirent de mieux résister à la sécheresse de 2018 et il fut, à bien des égards, le plus résistant de nos vignobles et cela en dépit de la pluviométrie la plus faible de tous nos vignobles (210 mm) durant la période de maturation des raisins. Mais le calcaire et les nappes souterraines allaient apporter certains des plus beaux raisins blancs du millésime 2018. Le vin a les caractéristiques habituelles de citrus salin et minéral avec des notes de bourgeons et de miel. Comme ce vin est délicieux dès sa mise sur le marché, il a tendance à être consommé trop tôt. Essayez d’en mettre quelques bouteilles de côté !

 

 

SKURFBERG 2018

le vignoble de Skurfberg est situé sur le mont Clanwilliam, qui fut sans doute le plus affecté par la sècheresse. Non seulement la pluviométrie fut faible (50% de pluie en moins qu’à l’accoutumée) mais elle tomba sur des sols des grès décomposés de la Table Mountain avec un fort drainage. « Un suicide viticole », nous dit Eben Sadie qui ajoute « les rendements furent réduits de 70% par rapport à la normale et nous dûmes récolter plus tôt pour conserver l’acidité des raisins ». Le vin a donc un peu mois d’alcool dans ce millésime et un peu plus d’acidité. « Alors pouvoir boire ce vin c’est presque comme marcher sur du cristal », nous dit Eben en conclusion.

 

 

KOKERBOOM 2018

Ce vin tire son nom des arbres de la famille des aloès qui bordent le vignoble. C’est l’un des plus beaux vignobles d’Afrique du Sud. Il n’a jamais vu aucun pesticide ou herbicide et la taille a été méticuleuse au fil des ans. Les rendements sont minuscules et les bouteilles sont rares. Quel vin ! On se tue, depuis des années, à dire que le sémillon est sans doute le plus grand cépage blanc d’ Afrique du Sud… mais il est voie de disparition.

Le vignoble de Kokerboom possède un drainage encore meilleur que le vignoble de Skurfberg, et ce n’est pas peu dire. Il fallut récolter le plus tôt possible. C’est la première fois que nous récoltions des raisins à peine mûrs avec des notes herbacées que l’on ne trouve jamais sur cet assemblage de sémillon blanc et de sémillon gris. Cette décision fut prise pour soulager le vignoble qui n’aurait peut-être pas pu résister à cette sècheresse intense. Comme pour le chenin de Skufberg, les rendements sont en baisse de 70% par rapport a la normale. C’est un Kokerboom à laisser tranquille pour au moins 5 ans. « On a fait ce qu’on a pu et on ne pouvait pas faire mieux », conclut Eben Sadie.

 

‘TVOETPAD 2018

Le nom signifie ‘chemin’ en afrikaan, et ce vignoble se situe sur la ferme de Dirk Brand. On y cultivait auparavant des céréales et du rooibos, cette plante autochtone qui s’apparente à du thé.

le vignoble de ‘TVoetpad a suivi la même trajectoire que le vignoble de Kokerboom et de Skufberg mais pour des raisons différentes. Le vignoble est situé au pied de la montagne avec un sous-sol irrigué par la rivière qui coule à proximité. La floraison fut pauvre du fait de la sècheresse, et les rendements sont en baisse d’environ 70%. La sècheresse fut d’une telle intensité que certaines vignes périrent. En dépit de tous ces aléas, le vin est un classique ’Tvoedpad.

 

 

 

MEV. KIRSTEN 2018

C’est le plus vieux vignoble de la série des « Old Vine » et, à ce titre, sans doute le plus résistant. Il est aussi situé à Stellenbosch où la pluviométrie est plus importante. Donc, au final, ce fut une vendange normale. Le vin est égal à lui-même avec ses notes de pommes vertes et ses arômes et saveurs de fruits tropicaux. Il possède une structure tannique massive. C’est un vin de garde à ne pas consommer dès sa mise sur le marché même si la tentation vous envahit…

 

Compte rendu de millésime écrit par Eben SADIE et traduit par Claude GILOIS.