Vous êtes consultant pour Valade & Transandine depuis une quinzaine d’années. Quels sont vos missions et comment travaillez-vous ?
La mission première en tant que consultant, c’est de proposer des domaines qui pourraient faire partie de la sélection. Ce choix se base sur une dizaine de critères qui me permettent d’avoir une certitude d’environ 85 % que ce que je propose peut rentrer dans la sélection avant même d’avoir goûté les vins. C’est très important, car, s’il faut se déplacer à l’étranger pour finaliser un accord, il ne faut pas se disperser car cela engendre des coûts supplémentaires importants. Il faut donc aller à l’essentiel.
Parfois, c’est une simple rencontre de hasard qui déclenche le choix, une sorte de coup de cœur sur des domaines moins connus.
L’avantage, c’est que la sélection exceptionnelle de Valade & Transandine agit aujourd’hui comme un aimant en attirant les producteurs désireux d’être distribués en France. Le nombre d’importateurs de vins étrangers est en effet chez nous très limité comparativement à d’autres pays. Les producteurs n’ont pas un choix important de distributeurs possibles, et Valade & Transandine est un acteur majeur incontournable.
Pour ce qui est de l’information, sur les pays viticoles, les régions et tous les aspects de la viticulture du monde, j’édite le site www.terroirsdumondeeducation.com qui consigne toute la viticulture du monde, soit 25.000 pages ! L’information est donc disponible immédiatement.
Comment qualifieriez-vous aujourd’hui la gamme de vins de Valade & Transandine ?
C’est de loin la gamme la plus pointue et la plus complète qui existe, non seulement en France mais aussi dans le monde. C’est une « sélection de goût », que nous avons développée sur 12 ans avec Olivier Poussier, mon alter-ego en vin et l’équipe de Valade & Transandine. Je dis « sélection de goût » par opposition à « sélection de style », qui était la sélection que j’avais effectuée pendant 15 ans sur ma propre société, où différents styles de vin cohabitaient.
Tous les pays viticoles majeurs y sont représentés et la plupart des régions viticoles majeures y figurent. Aujourd’hui, il faut faire attention à ce que le nombre de références au catalogue soit gérable pour l’équipe commerciale et aussi pour les clients. Il ne faut donc ajouter que l’essentiel.
Vous avez été pionnier en France dans le domaine des vins étrangers. Quelles évolutions avez-vous remarquées en trois décennies ?
Il y a certes eu une ouverture importante, car avec Vins du Monde (la société que j’ai créé en 1995), nous étions partis de rien, et il n’existait à l’époque aucune distribution de vins étrangers à part peut-être quelques vins ethniques comme le Boulaouane Gris du Maroc. Le marché s’est ouvert avec, en particulier, l’arrivée d’une nouvelle génération de sommeliers. Cependant la distribution de vins étrangers en France reste un marché de niche et un marché difficile, car l’offre de vin français est unique au monde par sa diversité, sa qualité et son rapport qualité-prix.
De plus, les barrières à l’entrée pour la distribution des vins étrangers sont très élevées. Impossible de travailler sans stock. Se réapprovisionner dans les pays aux antipodes, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, nécessite six à douze mois de délai. L’immobilisation financière est très importante, ce qui freine le développement de ce marché en France. Il faudrait plus d’importateurs pour que l’impact commercial soit plus fort.
Quand j’ai créé Vins du Monde, on estimait le marché des vins étrangers à environ 1 % du marché total. Ce chiffre a sans doute un peu bougé, mais pas d’une manière significative. Cela reste un marché de niche.
Certains vignerons en France sont en difficulté et arrachent de la vigne. Est-ce que cela se produit également à l’étranger ?
C’est bien triste, pour des personnes comme moi, qui considèrent que la vigne fait partie du patrimoine national. Mais, il faut être réaliste, la France a connu un énorme problème de santé publique après la Seconde Guerre mondiale, car le « pinard », terme popularisé par les poilus, avait été érigé au rang de boisson nationale sans danger, à consommer partout même dans les écoles. On est passé d’une consommation de 152 litres par an per capita en 1940, à 138 litres en 1952, 100 en 1975, 55 en 2000 et moins de 40 litres aujourd’hui. Si les gens consomment moins de vin en France, il faut trouver d’autres marchés. L’export a absorbé une partie de l’excédent mais, in fine, il faut arracher des vignes. Inutile de produire des vins si les consommateurs ne sont pas au rendez-vous. Ce sont les terroirs les moins prestigieux qui trinquent aujourd’hui (l’Entre-deux-Mers, le Languedoc Roussillon, etc.).
Le vignoble européen est en forte réduction ces trente dernières années, Le problème n’est pas nouveau. Malheureusement, On va continuer à arracher des vignes.
Le problème de la surproduction commence aussi à se poser dans les vignobles étrangers qui subissent les assauts d’un désamour du vin des consommateurs, de la conjoncture économique difficile et de préoccupations de santé générées, en particulier avec la publication de deux études alarmistes ces dernières années. Des grandes sociétés, comme Château Saint Michel dans l’État de Washington ont sérieusement réduit leur achat laissant les producteurs dans la difficulté, mais l’arrachage pour l’instant n’est pas d’actualité là-bas. Le Chili, en revanche, a réduit significativement la surface de son vignoble ces 2 dernières années. De toute façon, la viticulture n’est pas règlementée de la même façon dans le Nouveau Monde et je doute fort qu’il ait des primes à l’arrachage. Cela se passera donc avec beaucoup moins de couverture médiatique.
Les goûts des consommateurs, et le style des vins, changent depuis plusieurs années maintenant. Pensez-vous qu’il y a une nouvelle génération de vignerons qui cassent les codes ?
Pas si sûr que le goût des consommateurs ait foncièrement changé, mais on est sorti de l’ère Robert Parker/ Michel Roland et on retrouve des vins moins boisés et moins chargés en alcool. Je ne connais pas de vignerons qui « cassent les codes » comme vous dîtes. On revient à des vinifications classiques avec un minimum d’intervention. Certes, il y a un peu plus de création au niveau du marketing. Dans un marché plus difficile, l’innovation et la création sont importantes, mais encore une fois, si le consommateur boude le vin, le marketing ne solutionnera pas le problème structurel qui est une baisse de la consommation, en particulier en France.
Comment les vignerons du monde s’adaptent-ils au changement climatique ?
Le changement climatique est, par nature, global et il affecte tous les pays, mais il y en a qui sont plus pénalisés que d’autres.
Les viticulteurs étrangers essaient de s’adapter comme les viticulteurs français avec les mêmes techniques. Plus les régions sont chaudes et arides, plus l’adaptation va devenir difficile, en particulier pour toutes les régions viticoles du pourtour méditerranéen.
Dans le Nouveau Monde, la Nouvelle-Zélande est le pays qui s’en tire le mieux. Cela tient à sa géographie. Les régions viticoles ne sont jamais trop éloignées des océans et les masses d’eau agissent comme un régulateur thermique sur les régions viticoles. Les exportations de ce pays s’envolent.
Pour certaines régions viticoles, l’adaptation locale devient très difficile, voire même impossible . C’est le cas au Chili sur la bordure Pacifique où certaines régions comme Casablanca n’ont plus d’eau pour l’irrigation. Les domaines viticoles migrent vers le sud du pays, plus frais avec une pluviométrie beaucoup plus importante. Le Chili a la chance de pouvoir déplacer sa viticulture à l’intérieur de ses frontières. Tous les pays n’auront pas cette opportunité, les régions viticoles sud-africaines, ne peuvent pas migrer ni au nord, ni au sud. Les régions viticoles les plus adaptées au changement climatique aujourd’hui sont celles de la bordure Atlantique comme Hemel-en Aarde. Les régions traditionnelles comme Stellenbosch ou Paarl sont à la peine.
La Californie est en proie aux incendies tous les ans et ils viennent de débuter cette année au 15 juin. N’oublions pas qu’ils ont causé de nombreux dommages, en particulier dans la région de Sonoma en 2020.
A titre plus personnel, quels sont pour vous les 3 vignerons de la gamme V&T que tout le monde devrait avoir dans sa cave et pourquoi ?
Tout d’abord Alvaro Palacios, dans les 3 régions viticoles où il est présent (Priorat, Rioja, Bierzo) car il sait tout faire, des vins d’entrée de gamme aux grands vins en passant par les milieux de gamme.
Eben Sadie en Afrique du Sud car ses vins sont encore sous-évalués, en particulier la série « Old Vines ». Cependant ses vins sont en passe de devenir iconiques et cela risque de changer la donne en prix et en disponibilité…
Marie Thérèse Chappaz dans le Valais en Suisse. Cette viticultrice, si proche de la nature, a un sens inné du beau et du grand et elle sait tout faire : du blanc au rouge en passant par le liquoreux. Il y peu de quantité, mais si vous pouvez vous procurer quelques bouteilles, il ne faut pas hésiter !
Enfin, vous qui êtes amoureux des vins français et fin connaisseur des vins dans le monde, comment, auprès d’un passionné, vous argumenteriez pour lui faire découvrir la richesse des vins étrangers ?
L’axe de communication a toujours été la différence et cela reste vrai aujourd’hui. Même si un bon nombre de pays travaillent des cépages français, les vins qui en résultent ne sont pas les mêmes que ceux produits en France. Un cabernet de la Napa n’est pas un Pauillac. Il est plus gourmand, plus facile boire quand il est jeune. Le malbec argentin a peu de chose à voir avec un vin du même cépage à Cahors. Mais la différence n’est plus aussi marquée qu’elle l’était en en 1995, en témoigne la dégustation récente du « remake » du Jugement de Paris.
Et puis, il y a, à l’étranger, des vins uniques, introuvables en France, comme ceux issus des cépages pedro ximenez à Montilla-Moriles ou ceux issus du palomino à Jerez ou Sanlucar de Bairameida.