Jérémy, qu’est-ce qui vous a séduit chez Ata Rangi ?
JC : Je connais ce domaine depuis une bonne dizaine d’années. C’est l’un des domaines de Nouvelle-Zélande les plus respectés (à juste titre), et l’un des plus appréciés outre-Manche. Les Anglais ont une connaissance très fine de la Nouvelle Zélande et de ses terroirs. J’ai dégusté le pinot noir d’Ata Rangi pour la première fois à la fin des années 2000 lorsque je préparais les examens du Master of Wine.
Je suis ensuite allé sur place pour mon premier livre « Vignerons Essentiels » en 2016, ayant entre temps entendu des bribes d’histoire sur le domaine, son fondateur Clive Paton et Helen Masters qui vinifie les vins aujourd’hui. Une histoire fascinante ! Celle d’un berger Néo-Zélandais, qui abandonne tout, vend ses moutons pour investir dans une nouvelle région viticole qui vient de naître au début des années 1980. Clive a tout plaqué sans hésiter, suite à une étude climatologique et géologique qui évoquait le potentiel viticole de la région de Wairarapa (aujourd’hui plus connue sous le nom de Martinborough), son microclimat et ses sols de graves. Il a été l’un des pionniers de cette région et ses vins ont très vite démontré leur extrême noblesse.
Ata Rangi c’est aussi l’histoire d’un amoureux de la nature, d’un homme qui a pris conscience de l’importance de l’œuvre de protection et de restauration d’une faune et d’une flore mise à mal. Clive a replanté de ses propres mains des hectares et des hectares de forêt ! Il a aussi investi son argent dans la protection de certaines espèces à travers une fondation. Il y a très peu de vignerons aussi inspirés et inspirants que lui. C’est un homme à part et les hommes à part font très souvent des vins à part.
Ata Rangi, c’est également un matériel végétal exceptionnel. Le fameux « Abel Clone » aussi surnommé « Gumboot clone ». C’est l’histoire d’un greffon confisqué à la frontière, qui aurait été ramené du vignoble de la Tâche en Bourgogne. C’est le douanier Malcom Abel, qui va mettre la main sur ce cep de vigne et va bien vite en faire bon usage. Abel était aussi vigneron et ami de Clive. Ledit greffon sera bientôt replanté en terre Néo-Zélandaise. Les premiers vignobles de Clive sont d’ailleurs majoritairement constitués de cet Abel Clone. Ils produisent aujourd’hui encore ce qui fait l’ossature d’Ata Rangi et les raisins qui en émanent ont une race incomparable. Est-ce réellement un greffon de la Tâche ? On ne le saura probablement jamais, mais la qualité exceptionnelle des baies peut le laisser penser.
Pour finir, Ata Rangi, c’est aussi une histoire d’amitié et de fidélité. La très talentueuse Helen Masters, qui est aujourd’hui en charge des vinifications a commencé ici comme stagiaire. Difficile de quitter Ata Rangi…après être allé vinifier ailleurs, elle est donc revenue quelques années plus tard pour signer de nombreux très grands vins aux côtés de son premier mentor et ami, Clive Paton.
Helen, à quel moment avez-vous réalisé que vous vous trouviez dans une grande région viticole ?
HM : Je pense que c’est lorsque que notre Pinot Noir a remporté le trophée Bouchard Finlayson de l’International Wine & Spirit Competition (IWC) pour les millésimes 1993 et 1994. Nous savions que la région pouvait offrir une expression unique et convaincante de ce cépage. Il était passionnant de voir notre petite région se développer et acquérir une réputation internationale en surpassant certains des meilleurs vins du Monde.
Qu’est-ce qui vous surprend encore dans la région de Martinborough ?
HM : La Nouvelle-Zélande est une île longue et pas très large, et la région de Martinborough est située dans une vallée avec une ouverture claire vers l’Antarctique. Je suis toujours étonnée de voir à quel point le temps est « dynamique » ici. Les 27 degrés d’une chaude journée d’été peuvent soudainement descendre à 12 degrés lorsque le froid arrive du Sud. Je pense que cela, associé à notre sol rocailleux, apporte la profondeur et la tension qui caractérisent nos pinots noirs.
Jérémy, avec le temps, comment voyez-vous l’évolution de ce domaine ?
JC : Le domaine s’est maintenu au sommet de la production Néo-Zélandaise. Il y a toujours ce parfum de rose fanée et de pivoine dans un verre d’Ata Rangi. Ce bouquet intemporel et cette plénitude de fruit propre aux grands pinot noirs du pays. Je dirais même qu’avec le temps, grâce à une meilleure qualité des bouchons, à l’évolution de l’âge des vignes, et à la compréhension du terroir, nos vins se sont encore affinés. Les extractions sont plus douces, les élevages plus fins. Il y a quelque chose de « plein » et en même temps d’apaisé dans les vins du domaine.
On dit que la finesse et l’élégance de leurs vins est comparable aux bourguignons. Êtes-vous d’accord avec cela ?
JC : Oui, même si je n’aime pas toujours les comparaisons qui ne font pas toujours ressortir les personnalités et la singularité. Ce qui est beau dans les vins, c’est la diversité et les différences, pas les similitudes. La Nouvelle-Zélande doit écrire son histoire, avec sa propre expression. Le climat de la Nouvelle Zélande est d’ailleurs totalement différent du climat Bourguignon. C’est un climat océanique, ce qui explique que les vignobles soient situés sur la partie Est du pays, pour éviter les pluies trop abondantes. La radiation solaire est aussi bien plus importante qu’en Bourgogne. Les pinots noirs Néo-Zélandais ont donc cette dualité entre une grande intensité aromatique et colorante (pour le cépage) et une vraie fraîcheur. Il y a peut-être moins le côté savoureux et tellurique de la Bourgogne, mais il y a un tactile suave et un grand charme. Ce sont deux grandes expressions du cépage. Le pinot noir est très exigeant, et il n’y a pas beaucoup d’endroits dans le monde capables de le transcender. La Bourgogne, son berceau, quelques régions du sud de l’Allemagne, l’Oregon et bien sûr la Nouvelle-Zélande.
Helen, vous travaillez vos vignes depuis plus de 40 ans maintenant. Quels changements avez-vous remarqués ?
HM : Ce que j’aime dans les vieilles vignes, c’est leur constance. Même si nous avons connu des conditions météorologiques plus imprévisibles ces dernières années, ces vieilles vignes mûrissent au même rythme et semblent s’affranchir de ces changements. Les racines profondes des plantes jouent un rôle de tampon, ce qui est de plus en plus important.
Au-delà de la production de vins, vous êtes aussi fortement engagés en faveur de l’environnement, avec le projet Crimson, la plantation de milliers d’arbres, BioGro Organic… Qu’est-ce que cela signifie au quotidien ?
HM : Au quotidien, nous gérons nos vignobles de manière biologique et nous créons des environnements propices à la diversité, non seulement pour les insectes et la vie sauvage, mais aussi pour tous les micro-organismes que nous ne pouvons pas voir. Les choses simples auxquelles tout le monde peut participer, comme le recyclage, sont importantes. Les briques de lait deviennent des conteneurs pour la culture de jeunes plants, les cartons sont utilisés comme paillis autour des nouveaux arbres, pour ne citer que quelques exemples de la manière dont nous mettons nos objectifs environnementaux en pratique chaque jour.
Jérémy, quel est votre regard sur les Pinots Noirs de Nouvelle-Zélande, et en particulier ceux de Martinborough ?
JC : Martinborough produit des pinots très fins et moins charnus que ceux de l’autre grande région Néo-Zélandaise pour ce cépage, Central Otago. Ils ont un caractère plus floral, moins d’alcool et un beau support acide. Ils sont généralement assez marqués au niveau aromatique par le côté floral. Les pinots de Central Otago ont un peu plus de fond et sont moins souples que ceux de Marlborough, qui sont juteux et tendre, mais moins pleins.
Ce qui me fascine surtout dans ce pays, c’est la vitesse à laquelle ce cépage a pris sa place dans le monde du vin, l’investissement humain, la passion et l’énergie déployée. Il y a un amour pour la terre, une volonté de comprendre les terroirs et d’en tirer le meilleur. Le chemin parcouru en quelques décennies est tout simplement incroyable et force le respect. Il ne faut pas oublier que Martinborough a seulement une quarantaine d’années ! Alors chapeau bas ! Ce succès, cette reconnaissance, cette belle histoire nous la devons à des gens comme Clive Paton et Helen Masters. Des pionniers, qui ont su voir loin et comprendre le langage d’une terre de vigne naissante.